(...) S'emparant littéralement du tableau de Vallotton (La Chambre Rouge), Malingrëy rend d'une certaine façon hommage à l'œuvre d'un peintre qu'on imagine tutélaire pour lui, mais il le fait via un registre de citation bien particulier. Comme un enfant découpe avec application des images qu'il aime, des figurines de petits soldats dans des planches imprimées pour jouer avec, le peintre découpe ici la figure humaine du tableau de Vallotton, et se joue d'elle. Ce faisant, il se l'approprie, mais s'interroge aussi : que faire d'elle, maintenant qu'elle est là ? C'est ce que semble nous dire le visage interloqué de l'homme qui tient le Nu. Que faire des œuvres et des peintres qui nous précèdent et nous influencent, qui parfois peuvent devenir encombrantes ? À travers une série de tableaux qui semble aussi pouvoir fonctionner comme une séquence narrative, Malingrëy semble répondre à cette question de la façon la plus concrète : les œuvres qui nous hantent, il faut les manipuler, les reproduire, les malmener un peu, jusqu'à les connaître assez pour en faire des pièces détachées, et alors les intégrer, morceau après morceau, dans ses propres tableaux. Un jeu d'enfant.
Si le Nu se prêtait d'emblée à la découpe, tant il semble détaché du fond sur lequel il s'inscrit dans le tableau d'origine, ce n'est pourtant pas le seul élément qu'emprunte François Malingrëy : on retrouve ainsi les multiples drapés mais aussi la succession des plans, chambre rouge ouverte sur une autre pièce, puis sur un jardin. Le peintre en fait des tranches, des décors successifs à faire coïncider ou non, comme on composerait un diorama en papier découpé. Tantôt les portes finissent en effet par ouvrir sur le jardin, tantôt sur une autre pièce rouge, à l'infini. Les ciseaux du peintre composent un décor : le geste n'est pas tant ici celui d'appliquer des coups de pinceau que de trancher, ciseler, disposer des éléments, composés à partir de formes étalées devant sur la table, découpées dans une grande feuille blanche.
À partir de ce tableau-citation mais aussi de ses propres compositions et de ses propres modèles, François Malingrëy propose un ensemble d'œuvres qui relèvent du montage : montage de formes, de plans, de toiles et de bois peints. Issu de l'image illustrée, mais aussi d'une pratique du spectacle vivant, le peintre parle lui-même de mise en scène pour qualifier son mode opératoire. Il y a donc bien quelque chose de théâtral dans la façon dont les personnages représentés apparaissent et disparaissent, comme des entrées et des sorties de scènes, cachés dans l'ombre d'un mur ou derrière un rideau pour apparaître dans le tableau suivant en pleine lumière. À moitié nus, vêtus de sobres ou solennels vêtements noirs ou encore drapés dans de grandes capes mi-costumes de fantôme, mi-blouses de peintre, les personnages semblent en fait surpris en pleine répétition générale, se prêtant aux derniers essayages, affinant leurs gestes, leurs attitudes et leurs positions sur la scène. Les espaces représentés, les chambres grises, rouges et roses, sont autant de décors (et les bois peints, des éléments de ce décor ?) pour les différents actes, et convoquent de nombreux hors-champs, signifiés par l'attention du peintre pour les bords de ses tableaux, nous invitant à considérer ce qui toujours nous échappera dans la lecture d'une image. Là encore, il s'agit de jouer : faire dialoguer espace scénique et personnages, raconter une histoire par le séquençage narratif. Ici le peintre ne fait plus des pierres avec ses poings, mais manie plutôt des ficelles au-dessus du théâtre qu'il a lui-même construit.
- Extrait du texte de Nina Ferre-Gleize, publié en préface du catalogue d'exposition