" Leur répertoire convoque volontiers des personnages récurrents, à la manière d'une famille, et un bestiaire fabuleux. Leur style se caractérise par un graphisme impeccable empruntant à la BD et aux graffitis d'enfants, d'incessantes ruptures d'échelle, des espaces chancelant comme dans un rêve. Il balance entre un iconoclasme hilarant et explosif d'un côté, à la manière de garnements indomptables ; une bouleversante mélancolie, de l'autre. " *
Thomas Schlesser, directeur de la fondation Hartung-Bergman
10 ans déjà…
La première exposition d'Ella & Pitr à la galerie remonte à 2012.
Il y a dix ans, les stéphanois secouaient le Faubourg Saint-Honoré avec « Celui qui volait les étoiles pour les mettre dans sa soupe ». L'univers du couple avait alors étonné par sa poésie, son humour, sa candeur simulée, ravi avec sa fraîcheur autant qu'interpellé ; déjà la naïveté n'était que forme, toujours feinte, et le fond pouvait être rude.
En dix ans, Ella & Pitr ont fait du chemin. Ils ont parcouru un nombre incalculable de kilomètres, traversé le globe de part en part pour y peindre et y exposer, de Beijing à Chicago en passant par Stavanger, Londres, Rome, Santiago du Chili, Mumbai et bien d'autres villes. Ils ont donné vie à une famille de géants seulement visibles du ciel, ils ont peint les plus grandes fresques d'Europe, en 2015 en Norvège, en 2019 à Paris, pour finalement décider de travailler à leur destruction. La course au gigantisme a fini par les fatiguer. La taille prenant le pas sur le fond, la surface sur les scènes, ils ont choisi de revenir aux fondamentaux de l'art urbain, c'est-à-dire à sa dimension éphémère en faisant littéralement exploser leurs créations.
C'est cela aussi Ella & Pitr : ne pas s'éterniser dans les recettes qui marchent. Être toujours en mouvement pour ne pas stagner, pour ne pas s'ennuyer ni nous ennuyer, et se positionner là où l'on ne les attend pas. Cet état d'esprit s'applique autant à leurs œuvres de rue qu'à celles d'atelier. En une décennie leur pratique a connu nombre de transformations, d'évolutions. De support d'abord avec des peintures sur toile et papier bien sûr mais également sur béton, bois, casiers d'imprimeurs, avec des scènes dissimulées derrière du verre cathédrale, des personnages dessinés communiquant avec (ou via) des objets : pinceaux, cailloux, céramique, assiettes cassées… le tout fait maison et avec la fibre poétique qui les caractérise.
Surpris, Ella & Pitr l'ont encore fait en dévoilant voilà quatre ans les premières œuvres de leur série « plis et replis de soi ». Plus abstrait, ce nouveau corpus ne venait en rien rompre avec leurs œuvres figuratives mais bien les prolonger. Les piles de tissus jetaient la lumière sur les vêtements, leurs textures et leurs motifs détaillés, dont ils habillaient leurs personnages.
Ella & Pitr ne renient ni ne sacrifient rien. En dix ans nous - galeristes autant que collectionneurs et amateurs - avons pu constater ce que signifie pour des artistes «la liberté de créer», sans limite d'objet, de dimension ni de sujet.
Et c'est toujours avec la même curiosité mêlée de gourmandise que nous accueillons une nouvelle exposition du couple.
Embarquons donc pour ce Voyage en soi (en eux, en nous ?) sauvage…
Jonathan Roze
* texte intégral repoduit dans l'ouvrage "Gros comme ça", éditions Ella & Pitr