Exposition rétrospective
20 janvier - 17 février 2018
Organisée à l'occasion de la parution de la monographie éponyme dans la collection Alternatives (éditions Gallimard), l'exposition "Comme des fourmis" donne à voir l'évolution du travail d'atelier des artistes stéphanois depuis 2011. C'est également la relation entre les artistes et leur galerie qui est à découvrir ...
Le travail d'Ella & Pitr touche par sa grande sincérité, par la dimension poétique qui s'en dégage. Qu'il soit très complexe, techniquement détaillé, ou composé de traits plus simples, plus bruts, il véhicule les émotions qu'Ella & Pitr ont ressenties en créant. C'est aussi ce qui fait leur charme. Bien souvent, ce sont eux, leur famille, leurs amis que l'on retrouve plongés, représentés dans leurs œuvres. Et quand les hommes, femmes ou enfants ne font pas partie de leur entourage, ils viennent de souvenirs ou de l'imagination débordante de leurs enfants.
Le galeriste choisit d'entamer une collaboration avec un artiste pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il en aime les œuvres. Ensuite, parce que chacune des parties souhaite aller dans la même direction ; il faut des affinités humaines évidemment. Enfin, le temps, les murs et la parole du galeriste, vis-à-vis de ses collectionneurs et des amateurs qui visitent son espace, sont comptés. Exposer les œuvres d'un artiste et le défendre est un investissement. Il faut que le travail de l'artiste fasse rêver le galeriste, car, ne l'oublions pas, l'idée derrière toute présentation de tableau ou exposition est l'acquisition, par les collectionneurs, des œuvres de l'artiste. La galerie n'est qu'une étape dans la vie de l'œuvre. Sa destination finale est le mur du collectionneur.
Dans notre relation à Ella & Pitr et à leur univers, la question s'est souvent posée et se pose encore. Au-delà d'échanges sincères et enrichissants, au-delà de l'amitié certaine et de l'attachement qui nous lie à leur travail et à leur univers, comment trouver le point d'équilibre entre une aspiration au dévoilement d'une vérité parfois crue et un impératif commercial ?
Ella & Pitr sont les narrateurs de bien des scènes. Personnages seuls, endormis paisiblement - définitivement peut-on penser parfois - personnages guerriers, à l'assaut de la vie ? - personnes âgées, énervées, isolées, amoureuses, dansantes ou stoïques... c'est bien souvent dans l'œuvre d'Ella & Pitr la dimension réelle d'une situation, l'effet «madeleine de Proust», sa dimension radicale aussi, qui crée l'attachement à une œuvre ; la poésie dont il est souvent question quand on en vient à décrire leur travail. Paradoxalement, c'est aussi cette dimension réelle qui peut venir fermer la porte au rêve. Le réel est vrai. La vérité est parfois désagréable. La lire, sur un tableau entraîne forcément une émotion, et de ce point de vue, le travail d'Ella & Pitr gagne à chaque fois. L'émotion est créée - quelle qu'elle soit : adhésion, admiration, incompréhension voire parfois rejet. Mais, se demande le collectionneur, vais-je pouvoir quotidiennement vivre avec cette émotion ? Évidemment, il n'y a pas qu'une réponse à cette question. Il y a même presque autant de réponses qu'il existe d'émotions. D'un point de vue commercial, revenons-y, le fait que cette question se pose est parfois un obstacle. Et nous voilà revenus au centre des relations entre le galeriste et l'artiste.
Les collectionneurs, années après années, suivent, connaissent, ressentent et adhèrent aux goûts du galeriste. Logiquement, ce dernier défend avec ardeur les travaux qu'il aime et même au-delà, ceux qu'il achèterait et serait prêt à exposer chez lui. Ressentir une émotion, aimer une œuvre et l'acheter pour vivre avec des années durant sont des choses bien différentes. C'est ce fameux point d'équilibre que nous recherchons avec nos artistes et particulièrement avec Ella & Pitr.
Franck Le Feuvre
Franck Le Feuvre
Janvier 24, 2018