Causette avec Diane Benoit du Rey

Interview en atelier
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Retrouvez l'interview dans l'atelier de Diane Benoit du Rey publié dans Causette :
 
 

Dans l'atelier de Diane Benoit du Rey, peintre d'aurore et de lumière

En Seine-Saint-Denis, au cœur d'un complexe industriel réhabilité, la peintre Diane Benoit du Rey s'empare de couleurs et les fixe sur des toiles abstraites (é)mouvantes. Rencontre avec l'artiste à l'origine d'une nouvelle fresque monumentale à Vitry-sur-Seine.
 
De loin, la silhouette de Diane Benoit du Rey semble frêle. Cimple mirage dû aux rayons du soleil qui nimbe la cour du Préàvie, cette ancienne usine de saucissons reconvertie par Soukmachines en une multitudes d'ateliers. De près, la peintre dévoile des bras solides, dessinés par les mouvements répétés du pinceau lissant les contours de ses couleurs, qui la font porter sans effort ses toiles grands formats d'un bout à l'autre de son atelier, au deuxième étage du bâtiment.
 

Art sensoriel

Sur le sol, des tâches de peintures évidemment, et un réchaud posé à même le béton nu, pour la cafetière italienne. Le lieu est spartiatement aménagé -- quelques livres, du matériel et des toiles entreposées --, mais et surtout doté de deux grandes fenêtres qui laissent entrer des flots de lumière.
 
Diane partage cet atelier avec Emmanuel. Autre peintre, autre style, autre rythme de travail, cet oiseau de nuit lui laisse la plupart du temps le champ libre la journée. Cette répartition convient à merveille à la plasticienne, contrainte de travailler de concert avec la clarté diurne. "J'ai peint une fois le soir, je suis partie assez contente de moi et puis en revenant le lendemain matin j'ai cru crever de honte à la vue du résultat" rigoler la trentenaire, qui refuse de montrer "la croûte".
 
Son style actuel -- où "il est question de lignes, de couleurs, de mouvements, et au-delà de perception, reflet d'un univers pictural d'ordre abstrait et minimal" -- est le fruit d'un épurement progressif. Sortie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) il y a 7 ans, Diane a d'abord réalisé des séries de toiles plus figuratives composées d'objets formels et déjà ces rayons de couleurs qui caractérisent son travail, mais en arrière-plan. Des éblouissements lui donnent petit à petit envie de recadrer son œuvre sur ces détails, d'"abandonner les prétextes". Difficile pourtant de quitter la représentation au sortir d'une formation classique : "l'héritage de la peinture contient une grande part de mental, dans la représentation symbolique, dans la référence à l'histoire de l'art. Sauf que j'ai fini par comprendre que ce qui m'intéressait vraiment, c'était le sensoriel." Des grands maîtres de l'abstraction l'aide à se radicaliser ; Rothko, Dan Flavin, et surtout James Turrell, dont elle est allée voir la rétrospective à Dusseldörf. "Ça a changé mon rapport au monde." L'artiste américain, maestro des installations lumineuses, invite les visiteur.euses dans des pièces où ne subsiste qu'une dimension, celle de la couleur, et où l'on flotte alors dans des bulles hypnotiques qui ne craignent plus les coins.
 

Faisceau d'indices

Au mur, un rai de lumière magnifique le quadriptyque qui occupe l'artiste pour le moment. "J'en suis venue à la question de savoir s'il était possible de transformer la peinture en lumière." Les quatre toiles répondent que oui. Et continuent à raconter les remous de couleurs en flous. La peintre, passionnée par les phénomènes optiques -- "j'ai lu des bouquins scientifiques sur le sujet, même si je n'en ai rien retenu", sourit-elle -- voulait ici évoquer la saturation avec des teintes qui montent en puissance. Et se désole un peu de trouver le résultat actuel si séduisant, alors qu'elle n'a pas encore poussé le concept dans ses retranchements.
 
C'est vrai que c'est très beau. On aimerait en dire quelque chose de moins plat mais le fait est que ça l'est. Pour rester dans la trivialité, on s'enquiert du prix. Les dégradés hypnotisants nous semblent très à propos au plafond d'une chambre à coucher pour calmer les soirs d'insomnies et magnifier les matins paresseux. Hélas, pour se l'offrir, il faudra se lever tôt. Ces derniers mois, Diane Benoit du Rey s'est faite repérer par une galerie (Scène ouverte), puis une deuxième (Le Feuvre & Roze). Dans le jargon du milieu de l'art, ça signifie que ses prix ont presque triplé. Tant pis pour notre plafond, et tant mieux pour la peintre qui avoue que les premières années post-études, à enchaîner jobs alimentaires et désillusions, se sont révélées bien décourageantes par instant. Elle vit de son art depuis deux ans environ, "c'est finalement assez rapide par rapport à une carrière d'artiste mais c'est assez long quand t'es dedans".
 

Phénomène de diffraction

Par la fenêtre, l'horizon porte loin. On pourrait presque deviner, à une dizaine de kilomètres au Nord, la fresque monumentales que Diane Benoit du Rey a élaborée sur le pignon du mur Est de la résidence Touraine, à Vitry-sur-Seine.
 
Elle a été choisie par les habitants du quartier lors d'une consultation citoyenne suite à un appel à projet lancé par la ville et La Semise (le bailleur social de la ville) dans le cadre d'une réhabilitation thermique du bâtiment, et l'a inaugurée le 31 mars dernier. Après plusieurs semaines de travail, treize étages d'échafaudages et 160 litres de peinture, la réalisation de 330 mètres carrés illumine le quartier.
 
"Le changement d'échelle me plaît beaucoup, si tant est qu'il ne soit pas gratuit" insiste celle qui a mené un autre projet d'envergure, dans l'entreprise de peinture Colart cette fois. Chapeautant le personnel des lieux, qui a peint avec des couleurs de sa composition quelque 800 carreaux de 30 x 30 cm avant de les coller au mur façon bataille navale, Diane a donné naissance à une fresque de 75m2.
Des gros chantiers qui, couplés à ses toiles plus traditionnelles, lui prennent un temps considérable. Et que fait-elle dans le peu de temps libre qu'il lui reste ? De la céramique. Ou des simulations digitales de piscine de luxe au fond dégradé et des esquisses de lampes de couleurs. Toujours quelque chose en lien avec son art. "C'est parfois délicat de ne pas être pris par ce fantasme un peu mégalo de constituer une espèce d'Œuvre au sein de laquelle toutes les entités qui la constituent seraient reliées entre elles." Pour surveiller la trajectoire de cette étoile montante, suivez la lumière.
 
- Milena de Bellefroid 
 
Mai 3, 2022
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